Toute jeune, Catherine avait déjà pris l’habitude de rêver éveillée. Elle aimait s’évader dans un monde
rempli de personnages fantastiques, de princes, de fées, de renards qui savent cuisiner.
Un monde surréel qu’elle créait sur mesure et qu’elle reproduisait ensuite avec une grande joie en les dessinant sur tout ce qu’elle pouvait trouver.
Sa mère, une femme au sens pratique très aiguisé, chaque fois qu’elle surprenait sa fille en train de rêvasser lui disait invariablement : ‘’ Catou, sors de la lune, reviens sur Terre. Tu perds ton temps à rêver. Si tu as trop de temps, viens m’aider avec les corvées. ‘’ Agacée de se faire interrompre constamment, plus le temps passait, moins Catherine rêvait.
Un jour, résignée, elle délaissa totalement ses rêves, ses crayons et ses papiers.
Catherine devint adolescente puis une jeune femme rangée. Bonne élève, fortement influencée par le désir de ses parents de la voir choisir une voie professionnelle qui lui assurerait une situation confortable, Catherine avait choisi la comptabilité.
Brillante, grande travaillante, les années passèrent et Catherine prit du galon hiérarchique.
Au cours d’une convention, elle rencontra Hugo, celui qui allait devenir son mari. Leurs deux filles naquirent à deux années d’intervalle et comme des fières représentantes de la génération d’aujourd’hui, chacune développa sa propre allergie. L’une à la poussière, l’autre au beurre d’arachide.
Heureusement, la mère de Catherine qui avait fait son entrée dans la maisonnée comme nounou officielle à la naissance de l’ainée, veillait au grain à ce que la maison soit totalement aseptisée.
Par un beau soir d’été, Catherine était pour une rare fois seule à la maison. Hugo était parti avec les filles visiter ses parents pour la fin de semaine. Catherine s’était excusée, prétextant avoir des études à faire pour son MBA qu’elle souhaitait terminer.
En réalité, il y avait déjà au moins 6 mois que Catherine avait abandonné le MBA sans l’avoir dit à Hugo, encore moins à sa mère.
Les soirs où elle était supposée être à l’université, en Catherine les utilisait pour marcher seule, essayant de retrouvant l’enfant rêveuse qu’elle avait été. Le MBA elle l’avait débuté, car elle croyait que c’était ce qu’on attendait d’elle, à la banque où elle travaillait. Catherine n’en avait jamais ressenti le besoin ni l’intérêt, mais tant de gens lui avaient dit que ce serait une étoile de plus sur sa feuille de route professionnelle qu’elle s’était lancée.
Un matin 6 mois auparavant, Catherine avait vu passer la question suivante sur son fil d’actualité : ‘’vivez-vous votre vie selon vos standards ou selon votre idéal’’ ?
Hantée par la question pour une raison qu’elle ne savait s’expliquer, Catherine avait immédiatement abandonné le MBA et choisi de se consacrer ces moments déjà réservés à faire l’inventaire de tous les standards qui régissaient de vie. Les règles, les valeurs, les conventions qui influençaient toutes ses décisions. Ce qui était permis, ce qui était proscrit. Ce qui était bien, ce qui était mal. Elle revisita tout avec minutie.
Catherine découvrit que sa vie était parfaitement alignée avec ses standards, parce qu’il ne peut qu’en être ainsi. Notre vie est le reflet des règles que nous avons mises en place et rien d’autre.
Catherine ne pouvait toutefois affirmer avec certitude que tous les standards qui la gouvernaient correspondaient à son idéal de vie.
Catherine, tristement, ne savait plus réellement ce qu’elle voulait. L’avait-elle déjà su ?
Il y avait bien eu l’époque des rêves éveillés où elle se voyait missionnaire, conquérante, artiste, habiter une ile lointaine, côtoyer des animaux exotiques, élever 12 enfants, mais tout ça c’étaient des rêves d’enfant n’est-ce pas ?
Ou peut-être pas que des rêves d’enfant ?
Il y avait si longtemps que Catherine n’avait pas rêvé librement qu’elle en avait développé une forme de rigidité mentale qu’elle était bien résolue ce soir à transcender.
Installée confortablement dans son fauteuil préféré, Catherine fixa la flamme d’une bougie et laissa son regard errer. Changement de position. Tisane. Nouvelle bougie. Re-tisane. Rien ne se passa. Frustrée et déçue, Catherine abandonna et alla se coucher.
Cette nuit-là, elle fit un court rêve, un nano rêve. A son réveil, elle se souvint. Elle avait juste eu le temps de voir le clin d’œil du renard avant de se réveiller. Oui, celui-là même qui savait cuisiner.
